Karin Viard

Extrait interview – « Agathe et le professeur de Théâtre » – Arte

Karine Viard : … Avec Blanche j’ai découvert qu’on pouvait s’approprier des choses et qu’on était pas seulement soumis au résultat de cette chose, mais que le cheminement, la démarche pour arriver à dire une phrase était au moins aussi importante que le résultat lui même. C’est à dire que la sincérité de la démarche amène un résultat peut être plus singulier, plus original que l’idée que l’on a à priori que la scène doit se jouer comme ça. C’est compréhensible ou pas ?

Agathe : C’est très compréhensible. Et ça, comment elle l’a fait comprendre?
K.V 
: Déjà, il y a toute une démarche, quand on arrive, quelque soit son parcours, si même on est complètement néophyte ou si au contraire on a déjà fait 10 ans de cours, on doit passer des strates, des épreuves qui sont d’abord une improvisation sans mot avec des actions qu’elle donne sur un papier comme « attendre quelqu’un, fêter quelque chose… » il y a comme ça plein d’actions. Donc c’est s’exposer, se donner à voir, se donner à connaître à tout un groupe de gens que l’on ne connaît pas. On est déjà obligé de déchirer un peu le voile de ce que l’on est, c’est à dire que l’on ne peut pas se planquer derrière les mots, derrière de fausses actions comme ça qui sont dans la scène. Donc, déjà il y a ça : pour être intéressant dans une improvisation sans mots, il faut organiser sa pensée de façon à connaître le personnage qu’on a envie d’exposer dans l’action. Pourquoi cette action ? Qu’est ce qu’il y a autour ? etc. Si c’est par exemple « attendre quelqu’un » : qui suis-je ? Quelle est la personne que j’attends ? Pourquoi est ce que je l’attends ? Quels sont mes espoirs ? Mes attentes ? Mon objectif ?
Par exemple : « j’attends quelqu’un, j’ai envie de le séduire » alors est ce que j’ai confiance en moi ou pas ? Puis d’un seul coup, j’ai envie de le séduire mais, je me dis au fond : Est ce qu’il ne faudrait pas que je change tous mes vêtements parce que je me suis gourée ? et il y a comme ça tout un cheminement de la pansée que l’on donne à voir aux autres. Donc, c’est une relation très intime à sa pensée et à sa façon de s’approprier la situation.
Mais ça fait avancer, c’est à dire que ça donne la possibilité de s’interroger sur ce qui sort de nous. Ce qui sort de nous échappe à tout contrôle, c’est ça qui est vachement intéressant et aussi déstabilisant parce qu’on arrive avec des certitudes sur ce que l’on est et ce qui sort de nous… ce qui émane est très différent. C’est vrai que je suis arrivée chez elle, j’avais envie de… j’avais toujours le phantasme d’être une espèce de jeune première, j’avais très très envie de ça. Et puis en fait, elle a permis de m’enlever cette idée : je ne suis pas une jeune première parce que je suis quelqu’un de plus râpeux. Je ne sais pas comment dire , je ne suis pas une jeune première, je ne suis pas romantique, je ne suis pas sentimentale, j’ai plus de brutalité, de violence et aussi de drôlerie en fait et c’est vraiment chez elle que j’ai découvert ma drôlerie.

A : Parce qu’avant, vous la niiez ? elle vous embarrassait votre drôlerie ?
K.V 
: Souvent quand on est jeune acteur, on a une espèce de démarche un peu narcissique qui fait qu’on fantasme sur des projections, donc moi, j’avais envie d’être la jeune première avec la jolie robe, celle dont tous les garçons dans les pièces de théâtre sont amoureux etc. Derrière tout ça, il y a quand même des vérités, c’est à dire sur l’énergie, sur ce qu’on dégage, sur la voix qu’on a, sur son physique, etc….
Blanche ne met pas du tout dans des rôles ou des types de rôles mais force est de constater qu’il y a des choses de soi qui émanent, qui sortent et qui dirigent. C’est à dire qu’il y a des endroits où l’on va très inconsciemment mais c’est là où ça nous ressemble le plus. C’est vrai que la drôlerie en fait… je savais que j’avais du tempérament etc mais la drôlerie que je crois avoir encore aujourd’hui dans certains rôles et qu’on me demande, c’est avec elle que je l’ai découverte.

A : Est-ce qu’il y a un moment de bascule, de réalisation ? Est-ce qu’il y a une phrase qu’elle a dite ? une scène ? Vous vous souvenez du cheminement autour de ça ?
K.V 
: Je m’en souviens et d’ailleurs c’est très drôle parce qu’elle se souvient aussi parce que les rares fois où l’on se croise, elle me reparle de ce moment. C’est vrai que c’est un moment très fort dans mon apprentissage. J’étais encore aux improvisations sans mots. J’avais choisi une action qui était « fêter quelque chose » et décidé que je fêtais mon anniversaire. Donc, seule dans la pièce où je m’étais mise en scène d’une certaine façon etc…. A un moment donné, tout ce que je faisais m’amenait vers quelque chose de désespéré. J’étais malheureuse d’être seule, de fêter seule mon anniversaire parce qu’au fond, personne n’était là pour me le fêter et que si je ne me le fêtais pas moi même et bien je n’aurais jamais eu d’anniversaire. J’étais de plus en plus dans la tristesse comme ça et tout ce que je faisais, tout le monde riait. Et moi j’étais extrêmement sincère dans le désespoir que je pouvais avoir et tout le monde riait et je me sentais très souple, c’est à dire que je n’étais pas gênée par le fait que les gens rient, mais ça m’étonnait. Et en fait, autour de ça, après avoir fait cette improvisation, on a discuté et elle m’a dit : « voilà, ca c’est très bien, d’abord parce que tout le monde a ri et ça ne t’a pas déstabilisé, tu as continué à être sincère là-dedans etc… tu n’as pas joué à la rigolote, tu as continué dans ta sincérité, dans ton désespoir. C’est une grande qualité que de pouvoir faire rire en étant soi-même pas dans cette chose là ». C’est à dire qu’elle m’a dit en gros : Là est ton trésor de façon plus intelligente et maline mais en tout cas c’est comme ça que je l’ai interprété.  A partir de là j’ai développé des choses, j’ai essayé de creuser ce sillon que je continue à creuser. C’est à dire qu’être drôle, c’est être proche de quelque chose d’un peu douloureux, d’un peu tragique. Si c’est juste faire rire pour faire rire parce qu’on fait le rigolo oui, mais par exemple, quelqu’un comme Louis de Funès, il est dans une folie, dans une démesure, il est tragique en même temps qu’il est drôle.
Et voilà. Et elle m’a fait prendre conscience de ça. C’est encore une chose dont je me sers… »